Samedi 12 mars, 17h30. Mon téléphone sonne : « tu viens demain avec nous, on part en Pologne à la frontière Ukrainienne ».
C’est Elena, je pense que c’est une blague car nous venons de nous quitter. Mais non, c’est vrai. Je prends dix secondes pour réfléchir et puis je me décide, je pars. Tout est allé vite, bien sûr ce voyage était envisagé mais pas encore programmé. Mais voilà, les circonstances l’imposent : Là-bas, on nous attend.
Dimanche 13 mars, 13 heures. On se retrouve devant la communauté. Les deux minibus sont prêts, chargés au maximum de produits dits de première nécessité.
Dans le premier véhicule, Elena responsable à la communauté de Longjumeau et Aleks responsable à la communauté de Châteauroux, tous les deux parlent russe, ce sera bien utile. Dans le deuxième Philippe, trésorier à Longjumeau et moi, Catherine, trésorière adjointe.
Je reçois un appel de ma sœur, Anne-Marie, qui me signale qu’une jeune femme accompagnée de sa mère et de son fils de trois ans sont sur la route de l’exil. Un parcours terrible : l’appartement situé à Irpin, ville martyre de la proche banlieue de Kiev a été bombardé (reportage de l’émission 7 à 8 du 13 mars sur TF1), le père et le frère de la jeune femme ont été tués, avec sa mère elles sont sorties sans savoir comment de l’appartement en serrant contre elles le petit garçon. Aurélien un journaliste se trouve là, bouleversé par ce qui leur arrive, il lance une bouteille à la mer, la situation est relatée par le Maire de la commune de Janvry sur son blog. Anne Marie l’a lu et elle m’appelle. Tout cela me semble très compliqué mais j’en parle à Elena qui prend contact avec la jeune femme et lui dit « on vient vous chercher, on ne partira pas sans vous ».
13h30, nous prenons la route, direction la frontière allemande. Metz, Sarrebruck, Nuremberg … et nous arrivons en Tchéquie. La nuit est tombée depuis longtemps. Nous ne sommes pas les seuls en direction de la Pologne, nous rencontrons d’autres convois en provenance du Portugal, de l’Espagne …
On se reconnait car tous arborent les couleurs jaune et bleue et l’on klaxonne à tout va. On roule encore, encore…
En Tchéquie voilà un accueil qui fait du bien. Sur l’autoroute il faut normalement payer une vignette, à nous on nous en fait cadeau. Et puis le café dans une station service au nom imprononçable pour nous : quand le gérant comprend où l’on se rend, il refuse que l’on paie.
Toujours la route. La fatigue se fait sentir, il est 2h du matin, on pensait atteindre la frontière polonaise cette nuit mais ce ne sera pas possible. Arrêt sur aire d’autoroute, le motel est fermé, on décide de dormir dans la voiture. La nuit sera très courte, à peine une heure. Impossible de dormir, il fait froid, on ne peut pas incliner les sièges car le minibus est plein du matériel pour les réfugiés et puis, le stress provoqué par les enjeux de notre voyage est bien là.
Nous décidons de repartir, la frontière polonaise n’est pas si loin. Notre objectif est d’atteindre Przemysl, ville à la frontière ukrainienne.
Des informations nous arrivent : il y a trop de monde à la frontière et les réfugiés sont dirigés vers Cracovie et aussi vers Katowice.
Nous partons pour Katowice où rendez-vous est pris avec les personnes que l’on doit retrouver, afin de déposer notre chargement et afin de trouver d’autres personnes à rapatrier pour remplir le plus possible les deux minibus.
Arrivés à Katowice nous trouvons un hôtel pour prendre quelques heures de repos pendant qu’Elena part à la gare pour chercher les premiers arrivants, une femme et sa fille de 14 ans.
Une fois ces deux personnes mises à l’abri à l’hôtel nous repartons tous les quatre à la gare.
Une gare comme les autres, avec le bruit de la gare de Lyon un jour de départ en vacances, un Mac Do, des boutiques … mais un climat vraiment étrange.
Comment décrire cette foule, ces escouades de bénévoles proposant leurs services, ces enfants insouciants parce que la nécessité est là de préserver malgré tout leur enfance si malmenée, ces femmes au teint livide et au regard perdu. Une image me reste : celle d’une petite fille d’environ huit ans qui danse devant une tente de la croix rouge, sa maman à ses côtés est comme absente. Elena l’aborde, lui parle longuement, elle nous remercie mais elles ne viendront pas.
Nous allons ensuite au centre de réfugiés déposer notre chargement (couvertures, duvets, produits d’hygiène …) et essayer à nouveau de proposer à des femmes et à leurs enfants de partir avec nous. Sans succès. Les gens ont peur, peur de s’éloigner de leur pays et de leur famille restée en Ukraine, peur de l’inconnu, peur des inconnus que nous sommes, peur d’être les objets d’un trafic … Pourtant le centre est plein, il n’y a même plus de chaise à offrir à toutes les personnes qui arrivent en nombre et par vagues.
Pendant tout ce temps, seule Elena peut entrer en contact avec les réfugiés, manifestement Aleks avec sa carrure de lutteur géorgien les effraie et Philippe et moi qui ne parlons pas la langue nous sentons impuissants.
Nous repartons presque bredouilles et plutôt déçus, un peu comme si nous étions riches d’une monnaie qui n’a pas cours. Seules deux femmes de Kharkiv qui sont à la rue depuis plusieurs jours nous suivent vers l’hôtel.
Le lendemain matin, à mon réveil, Elena a envoyé un message. Elle a retrouvé la famille d’Irpin qui est maintenant à l’hôtel, en sécurité.
Après un petit déjeuner nous retournons au centre de réfugiés, dernière possibilité pour proposer notre aide avant notre départ.
Elena aborde un groupe, un attroupement se forme, elle explique encore et encore qui nous sommes, ce qu’est Emmaüs, elle répète que l’on a des solutions de logement et surtout d’accompagnement pour une quinzaine de personnes. Cette fois tous veulent partir. Méfiante, la police nous contrôle et, assez rapidement, donne son accord. Aussitôt Philippe et Aleks partent à la recherche de la location d’un troisième minibus car nous sommes maintenant plus qu’au complet.
Ce n’est pas possible, rien à louer. Que faire ? Et puis certains se désistent, toujours la peur. Finalement on se retrouve à 19 (quatre accompagnants, six enfants, neuf femmes) pour 18 places, une personne de plus, ça ne se verra pas …
Long retour avec les nombreuses haltes nécessaires pour faire retomber la pression.
Peu à peu les visages se détendent.
Miracle du voyage, nous passons la nuit à Göttingen. Je m’endors en écoutant sur mon téléphone la chanson de Barbara. Oui, «Les enfants ce sont les mêmes à Paris ou à Göttingen ».
Le lendemain, enfin nous voilà de retour en France
Nous arrivons en soirée à la communauté de Longjumeau, accueil chaleureux des compagnons et des amis. Cela fait du bien de se retrouver.
Les compagnes cuisinières ont préparé du Bortsch, délicate attention.
Après le repas, Aleks part sur Châteauroux avec sept personnes.
Deux familles d’accueil sont venues chercher leurs protégés.
Une femme reste, elle sera compagne à la communauté de Longjumeau.
La vie reprend. Et c’est bien. On va continuer. Bien sûr.
Formidable ! Opération menée avec courage énergie et bonté. J’ai toujours de la place pour 2 adultes et 2 enfants si nécessaire.
☺ Merci René pour le soutien et l’engagement !
Bonjour à tous,
Un peu de nouvelles de nos Ukrainiennes :
La vie a repris son cours, petit Micha d’Irpin (7 à 8 sur TF1) a presque lâché la main de sa maman en allant à l’école de Janvry. Le maire de cette commune a obtenu dérogation de l’éducation nationale pour permettre à Iana, la maman, de rester avec son fils à l’école.
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Valentina et sa fille Amalia, sont logées à Chamarande chez Olivier et Hélène. Valentina a pris de belles couleurs en faisant le jardin. Tous ont fêté ensemble le 73ème anniversaire de Valentina dans un resto ukrainien à Paris.
Kira, la fille de Ira est inscrite à l’école, en troisième, depuis 10 jours. Elle est ravie de son accueil au collège. Je ne sais pas comment elle se débrouille avec le français, mais ça a l’air d’aller. 😅 Ira continue son métier et (télé)travaille pour l’opérateur de téléphonie ukrainien.
Olena est parfaitement intégrée à la communauté, elle parle russe avec tout le monde, sans aucune gêne, et ça marche ! En plus maintenant elle n’est plus seule, depuis mercredi la communauté a accueilli une autre ukrainienne : Iryna. Elle et sa sœur Natalia, viennent de Mariupol. Faute de place à la communauté Natalia devra être logée chez des particuliers à Ballainvilliers. Pour l’instant les sœurs ont du mal à se séparer, alors Natalia dort sur un lit pliant dans la chambre d’Iryna … La belle fille et la petite fille d’Iryna ont réussi à quitter Mariupol (enfin !) et se dirigent vers la France où Josselyne (nouvelle bénévole à la communauté) les accueillera chez elle 😍.
Ce week-end c’est Nana qui prend les filles en charge pour les emmener à l’église russe, pardon orthodoxe 🙄, de Ste Geneviève.
Parmi les trois familles accueillies par Emmaüs Indre, Natacha et son fils ont pris la décision de retourner en Ukraine. Ils sont bien arrivés. Ça peut paraître incompréhensible… Mais chut ! À Emmaüs on ne juge pas (normalement), on accepte
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Toute ces dames, sauf la famille de Janvry, participent à l’activité de la communauté. Je peux vous dire qu’à la fripe ça dépote 😅.
Les bénévoles de L’alphabétisation de Longjumeau proposent un cours intensif de français (8 heures par semaine). Les trois ukrainiennes de la communauté commencent demain.
Une maman, sa fille de 11 ans et son fils de 4 ans (trisomique) sont attendus et ont pris la route depuis Donetsk jeudi dernier. Actuellement ils sont hospitalisés à Tomaszow Lubelski. Gastro ? Un autre virus ? Les conditions de route sont lamentables. Les gens restent plus de 24 heures dans le train en position assise, arrivés à Lviv, pour dormir en attendant de prendre le train pour la Pologne, matelas par terre à la gare …
Un autre couple, la femme se déplace avec des béquilles et a besoin d’une prothèse de la hanche (l’opération avait été prévue pour mars en Ukraine) attend notre feu vert pour venir, une fois qu’on trouvera une place d’accueil adaptée.
Je voudrais vous remercier pour votre accueil chaleureux, vos sourires, vos cœurs ouverts, et aussi pour vos efforts en ukrainien (ça peut être en russe aussi !).
Elena